Dofus et Wakfu: Les univers français qui défient Disney

Défile !

C’est une rue typique que l’on trouve en grand nombre dans le Nord. Il y a de nombreux bâtiments en brique rouge alignés les uns après les autres. La plupart de ces bâtiments sont d’anciennes usines qui rappellent à tout le monde que Roubaix était autrefois la capitale du textile. Au numéro 75 du boulevard d’Armentières, on trouve un imposant bâtiment avec une magnifique porte en bois. Une fois à l’intérieur, on découvre un tout autre monde. Il y a dix mille mètres carrés de bureaux et de matériel informatique avancé, de vastes espaces ouverts, des studios d’enregistrement et de tournage, une salle de sport ultramoderne et même une salle de cinéma en sous-sol. Au sommet de l’immeuble se trouve un superbe loft, et l’entreprise compte 460 employés dont l’âge moyen est de 27 ans ! On pourrait se croire chez le petit frère de Facebook, du côté de Palo Alto en Californie, au cœur de la Silicon Valley. Il faut se pincer pour se rappeler que Lille est à seulement quelques stations de métro et que la frontière belge est à quelques kilomètres. Bienvenue chez Ankama, une entreprise qui crée des rêves comme il n’y en a pas d’autre en France, et peut-être même en Europe.

Conte de fées

En 2001, trois amis du nord de la France, Anthony Roux (surnommé « An » d’Ankama), Camille Chafer (surnommé « Ka ») et Emmanuel Darras (surnommé « Ma »), ont créé Ankama. À l’origine, Ankama était une petite agence Web, parmi tant d’autres start-ups qui se multipliaient à l’époque. Emmanuel Darras, qui ressemble vaguement à Mark Zuckerberg, était responsable des ventes. Avec son allure jeune, portant un jean et des baskets, il raconte une histoire à la façon d’un conte de fées à l’américaine : « Nous sommes partis avec 3 000 euros chacun en poche. Notre idée était de réaliser des sites Web classiques pour des prestataires et de développer en parallèle nos véritables passions, les jeux vidéo en ligne. Cependant, après les événements du 11 septembre 2001, nous avons perdu tous nos clients. » Heureusement, grâce au soutien du conseil régional de Nord-Pas-de-Calais, ils ont persévéré et le miracle s’est produit.

En deux mots, voici Dofus et Wakfu. Ce sont des univers créés par Anthony Roux, un passionné de bandes dessinées franco-belges et de comics. Dofus, lancé en 2001, est un jeu en ligne massivement multijoueur sur Internet qui compte actuellement 40 millions de joueurs dans le monde entier ! Il s’agit d’un jeu de rôle où le joueur crée son propre personnage et explore un vaste monde, interagissant avec d’autres personnages pour négocier, s’allier ou combattre. L’environnement graphique de Dofus est à la fois paisible et fantastique, inspiré du style kawaï (mignon en japonais) de Nintendo, avec une touche de l’univers de Tolkien, qui est une référence pour Anthony Roux. L’objectif est de créer une communauté d’initiés partageant un langage et des codes mystérieux, et de donner à l’ensemble une atmosphère poétique. Le monde des Douze dans Dofus est comparable à la Terre du Milieu dans Le Seigneur des Anneaux. En 2007, Anthony Roux a développé Wakfu, une série qui se déroule dans le même univers que Dofus, mais à une époque différente.

Dimension exceptionnelle

Les trois complices ont donné une dimension exceptionnelle à leur réussite en ayant une idée simple : étendre leur succès sur différents supports (livres, animations, magazines, produits dérivés) tout en contrôlant soigneusement chaque étape de l’opération. Emmanuel Darras explique : « Étant donné que nous avons essuyé plusieurs refus pour distribuer Dofus, nous avons décidé de prendre en charge toute la chaîne de création, de production et de communication au sein même d’Ankama. » Ce contrôle se déroule à Roubaix, là où tout a commencé, dans une zone franche. En 2007, Ankama établit son quartier général dans cette ville, rassemblant tous les départements nécessaires à sa croissance. Roux (34 ans), Chafer (33 ans) et Darras (35 ans) achètent un immeuble pour loger temporairement les nouveaux employés qui viennent de toute la France, voire de l’étranger (Espagne, Japon). Ils ouvrent même un restaurant en face de leur siège, contribuant ainsi à revitaliser le quartier. Darras explique avec fierté : « Ce qui nous rend fiers, c’est que les nouveaux arrivants ont dépassé leurs appréhensions et leurs préjugés sur la région. » À l’instar d’Apple ou de Google, tous les employés s’investissent pleinement dans l’entreprise. Olivier Jalabert, le nouveau responsable du secteur éditorial, confirme : « Ici, personne ne compte ses heures. Tout le monde vit une aventure collective et se sent responsable du succès d’Ankama. »

Les résultats sont impressionnants. L’adaptation de Dofus en manga a récemment dépassé le million d’exemplaires vendus. De son côté, Wakfu, devenu un dessin animé en 2008, rassemble en moyenne plus d’un million de téléspectateurs sur France 3 et est devenu la série préférée des enfants de moins de 14 ans. Les produits dérivés liés à ces franchises sont également très prometteurs sur le marché français, rivalisant avec ceux produits par les Japonais ou l’empire Disney.

La légende d’Ankama est également marquée par un refus significatif : les fondateurs ont rejeté discrètement les approches de Disney pour racheter le groupe. Bien que peu enclin à en parler, Emmanuel Darras ne nie pas cette information. Face à une croissance vertigineuse (un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, en hausse de 300 % au cours des quatre dernières années), ils ont eu le choix : vendre ou structurer la société pour assurer leur développement. Roux, Chafer et Darras ont donc pris la décision de relever un nouveau défi colossal : devenir des acteurs majeurs de l’industrie du divertissement, y compris en Asie et aux États-Unis. Une branche d’Ankama a été ouverte au Japon et une autre est sur le point de voir le jour outre-Atlantique.

Fourmillement créatif

Pour développer les licences de Wakfu, plusieurs initiatives sont prévues. Tout d’abord, Wakfu sera transposé en jeu en ligne, suivant le modèle de Dofus. De plus, un jeu vidéo Wakfu sera lancé sur la console Xbox 360 de Microsoft. En parallèle, une adaptation cinématographique de ces deux titres phares est également prévue. À cette fin, des locaux ont été aménagés à Paris pour accueillir une équipe d’animation dirigée par Emmanuel Franck, l’ancien producteur des Lascars, une série à succès diffusée sur Canal+. L’objectif, selon Anthony Roux, est de créer un univers cohérent qui perdurera dans le temps, en continuant à exister et à évoluer après leur départ.

Ankama ne se contente pas seulement d’accumuler des licences rentables. L’entreprise encourage l’éclectisme et la créativité foisonnante à tous les niveaux. Dans son catalogue, on peut trouver des exemples tels que Tank Girl, une bande dessinée futuriste créée par Alan Martin et le dessinateur Jamie Hewlett, le concepteur graphique du groupe de rock Gorillaz. Ankama éditions a également osé lancer Hey !, une revue d’art contemporain qui mélange des textes de qualité, du street art et de la bande dessinée, et qui a même été exposée lors du dernier festival d’Angoulême. De plus, Anthony Roux, le fondateur d’Ankama, agit en tant que mécène pour quelques passionnés qui sont hébergés chez Ankama. Inspirés par Wallace et Gromit, ces passionnés créent des courts-métrages délirants et politiquement incorrects en utilisant de la pâte à modeler, ce qui a suscité beaucoup d’enthousiasme lors du dernier Festival du film d’animation d’Annecy. Les acteurs traditionnels de l’édition, du jeu vidéo et du dessin animé se sentent tous menacés par l’offensive d’Ankama, y compris Disney.

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