Il était une fois un jeu qui devait développer l’expérience mobile dans l’univers du Krosmoz. Wakfu Raiders, fruit d’un partenariat ambitieux entre le studio français Ankama et le japonais Gumi, incarnait tous les espoirs d’une expansion réussie sur les smartphones. Pourtant, moins d’un an après sa sortie, les serveurs fermaient définitivement leurs portes. Retour sur l’histoire d’un projet qui aurait pu tout changer, mais qui a sombré dans l’oubli.
Le contexte : Ankama cherche sa voie sur mobile
L’année 2014 marque un tournant pour Ankama. Le studio roubaisien, fort du succès de Dofus et de l’émergence prometteuse de Wakfu (la série animé notamment), observe avec attention l’explosion du marché mobile. Les smartphones deviennent les nouveaux terrains de jeu privilégiés des joueurs, et les revenus générés par les applications mobiles atteignent des sommets vertigineux.
Pourtant, les premières incursions d’Ankama sur ce marché restent timides. Dofus Pocket, sorti en 2009, puis Dofus-Arena Pocket n’ont pas rencontré le succès escompté. Call of Cookie, développé par Devalley Entertainment et édité par Ankama, ne parvient qu’à décrocher une note moyenne de 3,8 étoiles sur le Play Store – un score décevant. Ce dernier a disparu des stores depuis.





« Ankama s’est également déjà essayé au jeu sur mobile, mais avec peu de succès », constatent les observateurs de l’époque. Le studio français, habitué aux mécaniques complexes et aux univers profonds de ses MMORPG, peine à adapter sa vision créative aux contraintes du mobile : écrans plus petits, sessions de jeu plus courtes, modèles économiques différents.
C’est dans ce contexte que naît l’idée d’un partenariat stratégique. Plutôt que de persister seul dans ses tentatives, Ankama décide de s’associer à un spécialiste du secteur.
Une transition managériale déterminante
Avant le début de l’accord avec Gumi, Ankama a connu une période de transition majeure avec la nomination d’Olivier Comte au poste de directeur général en 2013. Cette nomination marquait un tournant, car il était le premier dirigeant externe à la société, jusqu’alors dirigée uniquement par ses fondateurs. Son mandat, relativement court s’étendant de 2013 à 2015, a cependant été marqué par des choix stratégiques particulièrement ambitieux.
L’expansion internationale des IP d’Ankama constitue l’un des axes majeurs de sa direction, avec l’ouverture de succursales dans plusieurs pays pour développer la présence mondiale du studio. Parallèlement, l’octroi des droits de la série Wakfu à Netflix pour une diffusion internationale représente une première historique pour la société, témoignant d’une volonté d’ouverture vers de nouveaux marchés médiatiques. Cette approche s’accompagne d’une recherche active de partenariats stratégiques pour conquérir de nouveaux segments, particulièrement le marché mobile en pleine explosion.
Malgré ces initiatives prometteuses, cette période de transition n’a pas duré, et Olivier Comte a quitté ses fonctions en 2015. C’est pourtant sous sa direction que s’est concrétisé le partenariat avec Gumi, témoignant de sa vision d’ouverture internationale et de diversification qui marquera durablement l’ADN d’Ankama.
La rencontre avec Gumi : un partenariat prometteur
Le 11 mars 2014, l’annonce ce fait : Ankama et Gumi Inc. signent un « partenariat stratégique axé sur les jeux mobiles » semble prometteuse sur le papier.
Gumi Inc., fondé en 2007, s’est imposé comme l’un des leaders incontournables du jeu mobile en Asie. Après s’être lancé dans la création du premier réseau social de jeu mobile japonais « GREE », la société a développé une expertise reconnue dans le mobile sur iOS et Android. Ses titres originaux comme Yakuza Wars, Knight Wars, ou Duel Summoner ont marqué le marché japonais.
Mais c’est surtout avec Brave Frontier que Gumi prouve sa maîtrise du secteur. Ce RPG mobile, développé par le studio Alim (acquis par Gumi en 2013), devient un phénomène planétaire. Fort de plus de 7 millions d’utilisateurs en Asie et en Amérique du Nord, Brave Frontier génère des revenus colossaux et se hisse régulièrement dans le top 20 des applications les plus rentables en Europe.

« L’expertise de Gumi en matière de développement de jeux mobiles, combinée à leur connaissance approfondie du marché mobile asiatique, en fait le partenaire idéal pour poursuivre notre développement », déclare Olivier Comte, directeur général d’Ankama. De son côté, Hironao Kunimitsu, PDG de Gumi Inc., se réjouit : « Ankama Games est capable de créer des univers cohérents qui plaisent à un large public. Nous sommes fiers et heureux de nous associer à ce studio talentueux ».
David Ng, PDG de gumi Asia Pte. Ltd., : « Notre studio de Singapour est enthousiaste quant à cette opportunité de travailler avec Ankama sur leur licence WAKFU. gumi’s sait développer des jeux de rôle tout en respectant le ton et le style de la marque et cette expertise ne manquera pas de faire de WAKFU Raiders une expérience incroyablement fun et immersive. »
Camille Chafer, directeur technique et cofondateur d’Ankama déclare : « Après la sortie mondiale de la série TV WAKFU sur Netflix et celle du MMORPG sur Steam, WAKFU Raiders est une nouvelle opportunité de faire découvrir l’univers de WAKFU à davantage de fans dans le monde entier. Ce jeu mobile est une nouvelle ramification de l’expérience transmédia que nous continuons de construire avec chacune de nos sorties. »
Après une levée de fonds de 19 millions de dollars l’année précédente, Gumi souhaite s’étendre à l’international. L’ouverture d’un bureau à Paris symbolise cette ambition, et le partenariat avec Ankama représente leur premier accord stratégique en France.
Le premier projet de cette collaboration est annoncé pour 2014, soulevant déjà de nombreuses spéculations. L’univers du Krosmoz va-t-il enfin trouver sa voie sur mobile ?
Le développement dans l’ombre : l’ambition d’un « meilleur Brave Frontier »
Les premiers indices apparaissent en avril 2015, quand le nom « Wakfu Raiders » apparaît furtivement dans le listing des jeux présents au Lineup Ankama. Mais la fiche est rapidement supprimée, alimentant les rumeurs. Certains spéculent sur une sortie Nintendo 3DS, rappelant les précédents d’Ankama sur DS.
C’est en mai 2015, les pages officielles de Gumi révèlent l’existence du projet : Wakfu Raiders sera bien un jeu mobile, développé sur Android et iOS. Les « Terms of Service » et « Privacy Policy » publiés par le studio singapourien confirment la présence de moyens de paiement intégrés, suggérant un modèle free-to-play. Les données ultérieures révèlent que le jeu sera publié sous le nom du prestataire Mynet Games Inc. sur le Google Play Store, filiale de Gumi a l’époque.
« D’après les premières informations, ce serait le studio situé à Singapour qui serait en charge du développement conjointement avec Ankama Singapour » d’apres notre article de l’époque. Cette collaboration internationale illustre l’ampleur du projet : Gumi apporte son expertise technique et sa connaissance des marchés asiatiques, tandis qu’Ankama fournit son univers créatif et sa compréhension de la communauté européenne.
Une interview révélatrice accordée au vidéaste Simon Tay pendant le développement permet de mieux comprendre les ambitions du projet. Cash Ong, Studio Head chez Gumi Asia, et Kris Lee, Associate Producer, détaillent leur vision dans les studios singapouriens du géant japonais.
« Quand on nous a demandé de construire ce jeu, cela devait être un meilleur Brave Frontier », explique Cash Ong « Nous avons regardé Brave Frontier, ce qu’il offrait, et toutes les fonctionnalités de notre jeu devaient résoudre les problèmes que Brave Frontier avait initialement. C’est en fait un soi-disant meilleur Frontier ».
Cette approche révèle l’état d’esprit de l’équipe : plutôt que de révolutionner le genre, Wakfu Raiders se positionne comme une évolution directe de Brave Frontier, héritant de ses mécaniques tout en corrigeant ses défauts identifiés. « Nous avons fait le jeu de A à Z, de la partie artistique, de la programmation et des animations », précise Cash Ong, soulignant l’investissement total de Gumi Asia dans le projet.


Kris Lee détaille son rôle de coordinateur : « Je supervise la production, coordonne les choses avec Cash et parle aux gens sur le terrain. Je travaille avec les artistes, les programmeurs, les game designers pour m’assurer que tout est dans les temps et que tout entre dans le jeu sans problème ». Cette organisation témoigne d’un projet international impliquant plusieurs studios et fuseaux horaires.
L’équipe de Gumi Asia ne se contente pas de corriger les défauts de Brave Frontier, elle innove également. « L’une des principales choses que les gens n’aimaient pas dans Brave Frontier, c’était d’obtenir les mêmes personnages gacha », explique Cash Ong. « Nous avons changé la façon dont les gens améliorent leurs personnages, la rareté des personnages avec Wakfu Raiders ».
Plus révolutionnaire encore, l’équipe introduit une fonctionnalité qui deviendra rapidement un standard de l’industrie : « Nous avons introduit quelque chose qui est maintenant une fonctionnalité très populaire dans beaucoup de jeux à venir, même dans les jeux occidentaux, qui est la fonction d’auto-play ». Cette innovation, bien qu’aujourd’hui banale, représente une vraie rupture à l’époque.
« C’est le genre de chose qu’on aime ou qu’on déteste, mais il a été prouvé maintes fois que la majorité des joueurs semblent vouloir cette fonctionnalité », justifie Cash Ong. « Le jeu, similaire à Brave Frontier, vous permet toujours d’activer vos compétences spéciales ultimes, mais si vous ne faites rien, le jeu continue de jouer tout seul ».
La collaboration artistique avec Ankama : un investissement sans précédent
L’aspect le plus enthousiasmant du projet réside dans la collaboration créative avec Ankama. « Pour moi, le principal point d’attraction de Wakfu Raiders par rapport à Brave Frontier serait que nous avons l’honneur de travailler avec Ankama qui est le propriétaire de l’IP de Wakfu », s’enthousiasme Kris Lee. « Ils ont tous ces beaux personnages intéressants avec un peu d’humour noir bizarre à l’intérieur ».
Cette admiration pour l’univers Ankama transparaît dans chaque déclaration des développeurs. « Je suis vraiment impressionné par les graphismes d’Ankama et nous pouvons les utiliser dans Wakfu Raiders lui-même », poursuit Kris Lee. « Cela fait ressortir le polish du jeu entier d’un cran ».
L’approche visuelle de Wakfu Raiders tranche délibérément avec celle de Brave Frontier. « Brave Frontier joue un peu plus avec la nostalgie de l’art pixel, mais pour Wakfu Raiders, tout est en beaux graphismes, tout peint à la main, animé à la main », explique Kris Lee. « C’est ce que je ressens comme une très belle amélioration par rapport à Frontier que nous apportons à nos joueurs ».






Cette direction artistique hybride s’avère techniquement ambitieuse. « Nous avons des personnages 2D contre un environnement 3D », détaille Cash Ong. « Le style artistique lui-même… Ankama a fait un travail fantastique sur l’IP, ils ont réussi à créer un style artistique unique… quand vous regardez Wakfu, vous savez que c’est distinctif ».
En plus des graphismes soignés, l’équipe a également fait l’effort d’implémenter des voix anglaises professionnelles lors des ultimes des personnages, une rareté sur mobile à l’époque. Ce travail vocal, réalisé pour quelques heros par la doubleuse Rachael Messer (connue pour ses rôles dans Black Clover, Goblin Slayer, ou encore Borderlands 3), témoigne de l’ambition de créer une expérience aux standards élevés. Aujourd’hui encore, des bandes démo de ce travail subsistent.
L’une des innovations les plus ambitieuses concerne les attaques combinées. « Nous avons créé un nouveau système par rapport à Brave Frontier où, dans le Frontier normal, vous attaquez dans n’importe quel ordre, mais nous avons aussi créé ce système d’attaque d’équipe où l’ordre de votre attaque pendant le gameplay lui-même… crée une attaque d’équipe supplémentaire basée sur le type de combinaisons de personnages mis ensemble », détaille Kris Lee.
Cette mécanique, censée « amener le gameplay au niveau supérieur », révèle l’ambition technique de l’équipe de proposer quelque chose de véritablement nouveau. Cependant, cette complexité supplémentaire, ajoutée aux systèmes déjà présents, risque de créer une courbe d’apprentissage intimidante pour les nouveaux joueurs mobiles.
Mais le projet prend du retard. Initialement prévu pour 2014, puis repoussé, Wakfu Raiders ne verra finalement le jour qu’en juillet 2015. Ces délais, habituels dans l’industrie, cachent peut-être déjà les premières difficultés techniques et créatives liées à cette fusion ambitieuse entre deux univers artistiques distincts.
La sortie : entre espoirs et premiers signes d’une réception mitigée
Le 23 juillet 2015 : Wakfu Raiders débarque officiellement sur les stores iOS et Android en Europe. Après plus d’un an de développement, le public peut enfin découvrir ce que cache cette collaboration franco-japonaise.



Le pitch est ambitieux : « Plongez dans le Monde des Douze pour résoudre le mystère des phénomènes étranges qui se déroulent dans la dimension d’Etatim », « En tant que l’un des subordonnés de Yakusha, vous devez enquêter sur les anomalies apparaissant partout dans le monde et découvrir pourquoi les dieux du royaume de Wakfu perdent leurs pouvoirs. » Cette dimension alternative permet aux développeurs de prendre quelques libertés avec le lore établi, tout en conservant l’essence de l’univers Wakfu. Nous avons d’ailleurs a ma connaissance, jamais revue cette dimension depuis Wakfu Raiders.
Ce lore, bien que moins connu aujourd’hui, reste accessible dans un PDF encore disponible sur les anciens forums. Si le sujet vous intrigue, voici un résumé pour en découvrir l’essentiel
Yakusha est le fruit d’une histoire d’amour maudite entre le dieu Ecaflip (ou Zurcarák, selon les versions) et Elish Colahs, une mortelle dont la beauté et la poésie avaient su captiver la divinité. Pour apaiser son absence, Ecaflip lui offre un miroir d’obsidienne, un artefact magique permettant de communiquer à distance. Mais les visites du dieu se raréfient, et Elish, le cœur brisé, finit par mourir devant un temple, laissant Yakusha orphelin, rongé par la haine et une tristesse sans fin. Ce traumatisme marque le début de sa quête : un demi-dieu rejeté, en quête de reconnaissance et de vengeance.
Grandissant en solitaire, Yakusha développe des pouvoirs liés aux reflets et aux illusions. Il peut créer des copies parfaites d’objets et se multiplier en plusieurs versions de lui-même, des capacités qui reflètent son identité fragmentée et son statut de paria. Toujours en possession du miroir d’obsidienne, il y cherche des réponses, fasciné par la brume grise qui s’y agite, comme un écho de son âme tourmentée. Ce miroir, héritage de sa mère, devient à la fois un lien avec son passé et un outil de son futur pouvoir.
Sa vie bascule lors de sa rencontre avec Ush Galesh, son demi-frère, à Bonta. Reconnu par les sbires d’Ush, Yakusha se multiplie pour leur échapper, attirant la curiosité de son frère. Lorsqu’ils se font face, le miroir réagit violemment à la présence d’Ush Galesh, révélant une connexion profonde entre eux : leurs visages alternent dans l’obsidienne, comme un présage de leur destin commun. Ush, intrigué, propose une alliance aux « ignorés », ces dieux marginalisés par leur lignage. Mais Yakusha, méfiant, fuit, refusant toute soumission.
Épuisé et hanté par les mots d’Ush, Yakusha s’endort sous un arbre, rêvant d’un monde qu’il pourrait façonner à son image. Le miroir, désormais actif, montre une vision du Monde des Douze, puis se transforme en un tourbillon de lumière blanche. De ce rêve naît la Dimension Etatim, un univers né de sa soif de pouvoir et de vengeance, où il pourrait enfin régner sans être ignoré.
L’approche narrative tente de séduire les néophytes comme les connaisseurs. « L’histoire commence dans les gradins d’une arène de Brâkmar, un groupe d’aventuriers débarque à l’improviste dans la loge VIP du Dieu Xelor », raconte le test d’Otakia. Le scénario, inspiré des codes du rêve lucide, place le joueur dans la peau d’un Iop survivant, contraint d’explorer cette réalité onirique pour retrouver ses compagnons.
Visuellement, le jeu fait sensation et concrétise les promesses des développeurs. « Sur le plan graphique, c’est superbe, bien animé », reconnaît la critique. Les personnages de l’univers Wakfu prennent vie avec une qualité d’animation rare sur mobile. Chaque héros dispose d’animations fluides et expressives, dans la pure tradition de l’animation française, validant les propos enthousiastes de Kris Lee sur la collaboration avec Ankama.
Le système de jeu concrétise l’ambition affichée d’améliorer Brave Frontier. L’équipe de Gumi Asia a effectivement introduit des innovations notables, à commencer par le système d’auto-play tant vanté par Cash Ong. « Vous devez regarder quand est le meilleur moment pour lancer vos compétences », avait-il expliqué. « Pour Brave Frontier, si vous ne faites rien, tout se met en pause ».
Cette fonctionnalité, révolutionnaire pour l’époque, divise immédiatement. L’automatisation permet aux joueurs de laisser leurs personnages combattre de manière autonome tout en gardant la possibilité d’intervenir ponctuellement pour déclencher des compétences spéciales. Une approche qui séduit les joueurs mobiles pressés mais déroute les fans d’Ankama habitués à un contrôle total.
L’équipe a également mis l’accent sur la stratégie positionnelle, comme l’avait promis Cash Ong : « Où vous placez vos unités dans votre sélection de groupe, les mettre devant, au milieu, derrière, tout a des bonus différents ». Cette profondeur tactique, couplée aux styles de jeu individualisés de chaque personnage, témoigne de la volonté d’enrichir l’expérience par rapport au modèle Brave Frontier.









Chaque monde se divise en 8 donjons, eux-mêmes composés de trois salles avec un boss final. Cette structure, éprouvée sur d’autres titres du genre, offre un rythme de progression claire et des objectifs à court terme, respectant les codes établis du mobile.
Pourtant, dès les premiers tests, des failles apparaissent. Le tutoriel, pourtant « didactique », ne parvient pas à masquer les limites du gameplay. « L’interaction est très limitée, les personnages attaquent seuls, vous vous contentez de lancer leurs coups spéciaux quand leur jauge est pleine », pointe Otakia. « Contrairement aux autres jeux smartphone déjà sortis (Dofus Battle 1 et Dofus Battle 2), on a vraiment l’impression que l’impact de nos actions est très limité », regrette le test. Cette approche automatisée, caractéristique du mobile, divise immédiatement la communauté. Les fans d’Ankama, habitués aux mécaniques complexes et à la liberté stratégique.
La réception critique révèle un paradoxe fondamental : Wakfu Raiders séduit par son esthétique mais déçoit par son gameplay. Le système de combat automatique, pilier du jeu et fierté de Cash Ong, cristallise les critiques. Les personnages entrent en bataille et s’affrontent de manière autonome, le joueur se contentant d’activer ponctuellement des compétences spéciales. « Avoir l’option de combat automatique pour le farming en arrière-plan rend le gameplay de combat beaucoup moins significatif dans l’expérience », observe MMOHuts.
MMOHuts note que « le jeu n’est pas si difficile à comprendre car il y a eu beaucoup de jeux similaires populaires sur le marché mobile qui utilisent aussi le même moteur ». Cette familiarité, loin d’être un atout, devient un handicap. Dans un marché saturé de RPG mobile aux mécaniques similaires, Wakfu Raiders peine à se démarquer autrement que par ses graphismes, malgré les améliorations mises en avant par l’équipe de développement, cela souligne l’ambiguïté du projet : s’agit-il d’un vrai jeu Ankama ou d’un habillage cosmétique sur des mécaniques génériques ?
La progression souffre également de cette standardisation. Le système de niveaux de difficulté (Normal, Elite, Expert) reprend les codes établis du genre. Les récompenses plus importantes des niveaux supérieurs motivent la rejouabilité, mais au prix d’une répétitivité assumée qui contredit l’ambition affichée de « gameplay au niveau supérieur ».
Paradoxalement, c’est sur l’aspect narratif que le jeu déçoit le plus. « L’histoire de départ est pleine de promesses, mais le scénario passe complètement à la trappe une fois qu’on commence à jouer », déplore Otakia. La richesse de l’univers Wakfu, principal atout du projet selon Kris Lee, se dilue dans une succession de donjons sans véritable cohérence narrative, gâchant l’« humour noir bizarre » tant apprécié par l’équipe de développement.
Cette frustration touche particulièrement les fans de la première heure. La communauté Ankama, attachée à la profondeur de lore et à la complexité des mécaniques, se sent déçu par cette approche simplifiée et délaisse le jeu très rapidement. MMOHuts reconnaît que « voir les personnages Wakfu et Dofus presque en grandeur nature et de près » constitue un véritable atouts.
Chez Krozmotion, nous avons testé le jeu pendant plusieurs semaines lors de sa sortie, faisant partie des premiers retours critiques sur le projet. Notre expérience reflète parfaitement cette division communautaire qui caractérise l’accueil du titre. Le jeu reste globalement agréable et nous gardons de bons souvenirs des parties jouées. La direction artistique d’Ankama transpire dans chaque animation, offrant un spectacle visuel remarquable pour l’époque.
Cependant, plusieurs éléments ont rapidement limité notre engagement. La répétitivité des combats et le manque de profondeur narrative – ou du moins, un scénario peu aligné avec les standards habituels de l’univers Krosmoz – ont créé une frustration croissante au fil des heures de jeu. Cette déconnexion entre l’univers riche d’Ankama et sa transposition mobile simplifiée explique sans doute pourquoi tant de fans historiques ont exprimé leur déception, malgré la beauté artistique vantée par l’équipe de développement.
Enfin, la communication externe autour du jeu a clairement manqué de cohérence et d’ampleur. Les échanges avec le public historique d’Ankama se sont limités à quelques articles sur les sites officiels et à des publications sporadiques sur les réseaux sociaux. En réalité, la principale source d’informations pour les joueurs restait de télécharger le jeu et de consulter les mises à jour directement en jeu. Une telle approche, centrée sur une communication minimaliste, laisse penser que le jeu ne visait pas en priorité les fidèles de l’univers Ankama, notamment en raison de ses mécaniques simplifiées, peu adaptées aux attentes des fans traditionnels.
Pire encore, l’absence de campagnes publicitaires ciblées, notamment sur mobile – un canal essentiel pour toucher un public plus large et adapté à ce type de jeu –, a aggravé la situation. Ce manque de dialogue avec la communauté existante a non seulement déçu les attentes des joueurs historiques, mais a aussi creusé un fossé entre la promesse du jeu et sa réception, contribuant à son manque de visibilité et d’adhésion. Une stratégie de communication plus offensive et mieux adaptée aux supports aurait sans doute permis de mieux connecter le produit avec son public potentiel.
La difficulté inhérente de satisfaire simultanément deux publics aux attentes diamétralement opposées. Les fans historiques d’Ankama attendaient légitimement une expérience riche, complexe et respectueuse de l’identité tactique des jeux du studio. À l’inverse, le public mobile privilégie naturellement l’accessibilité immédiate, la commodité d’usage et la gratification rapide. Cette tension fondamentale, mal résolue par l’équipe de développement malgré ses innovations techniques, a engendré un produit hybride bancal qui ne satisfait pleinement aucune des deux audiences visées.
Un bilan mitigé
Les performances de Wakfu Raiders témoignent d’un succès mitigé. Le jeu atteint plus de 500 000 téléchargements sur Android selon les données disponibles, un chiffre honorable mais insuffisant pour un projet aux ambitions si élevées. Pour comparaison, Brave Frontier avait réussi à conquérir plus de 7 millions d’utilisateurs, établissant le standard que Cash Ong et son équipe espéraient dépasser ?
La réception critique révèle des différences notables entre les écosystèmes. Publié sur iOS, le jeu obtient une note moyenne de 4,0 étoiles basée sur 257 avis, contre 3,84 étoiles sur Android avec plus de 18 000 évaluations. Cette différence suggère que la base d’utilisateurs iOS, bien que plus restreinte, s’est montrée plus réceptive au projet.
L’analyse de la répartition des notes iOS révèle une polarisation moins marquée que sur Android. Sur l’App Store, 47,5% des avis attribuent 5 étoiles au jeu, tandis que seulement 15,2% lui donnent 1 étoile. Cette distribution plus équilibrée contraste avec la division plus tranchée observée sur Google Play Store, où les avis extrêmes dominent davantage les évaluations modérées.
Malgré un lancement acceptable, Wakfu Raiders peine à trouver son rythme de croisière. Les mises à jour se succèdent, tentant d’enrichir l’expérience : système de guilde, équipements de niveaux 4 et 5, nouveaux héros. Ces ajouts, classiques du genre, témoignent de la volonté des développeurs de fidéliser leur audience et de répondre aux critiques initiales, en exploitant notamment le système de crafting évoqué par Cash Ong lors des interviews de développement.
Pourtant, les signaux d’alarme s’accumulent progressivement. Les revenus générés ne correspondent pas aux attentes de Gumi, habitué aux succès planétaires comme Brave Frontier. Le modèle économique free-to-play, basé sur les achats intégrés de gemmes et de héros, ne parvient pas à créer l’engagement nécessaire à la rentabilité d’un jeu mobile moderne, malgré les améliorations promises au système gacha traditionnel.
Plusieurs facteurs convergent pour expliquer cette stagnation préoccupante. La concurrence féroce du marché mobile constitue le premier obstacle : en 2015-2016, les RPG collectibles se multiplient, chacun tentant de reproduire le succès de Brave Frontier ou Puzzle & Dragons. Dans cette jungle concurrentielle, Wakfu Raiders manque d’éléments différenciants majeurs au-delà de sa direction artistique.
Enfin, les difficultés opérationnelles de Gumi commencent à se faire sentir de manière aigüe. Le studio japonais, en pleine expansion internationale, multiplie les projets et dilue peut-être ses ressources humaines et financières. La gestion d’un jeu mobile exige une attention constante : événements réguliers, équilibrage des mécaniques, communication communautaire active. Cette charge de travail, sous-estimée au début du projet, grève rapidement la rentabilité d’un titre aux revenus limités.
La période de janvier à avril 2016 marque probablement le moment où les discussions internes s’intensifient dramatiquement. Côté Gumi, la pression financière s’accentue : maintenir des serveurs mondiaux et une équipe dédiée pour un jeu peu rentable devient difficile à justifier auprès des actionnaires. Côté Ankama, l’échec relatif du projet questionne fondamentalement la stratégie mobile du studio et l’efficacité des partenariats internationaux.
L’annonce qui fait mal
Le 26 avril 2016, moins de 10 mois après le lancement, tombe le couperet qui met fin à l’aventure. Gumi Inc. publie un communiqué qui résonne comme un aveu d’échec :
« Salutations Raiders, Tout d’abord, merci pour le soutien apporté à notre jeu bien aimé, Wakfu Raiders. Nous avons sincèrement apprécié que les joueurs, anciens comme nouveaux nous rejoignent dans cette aventure dans l’univers d’Etatim […] Après plusieurs discussions en interne, nous sommes malheureusement arrivés à la décision de fermer Wakfu Raiders, due à des contraintes opérationnelles au sein de l’entreprise. »

Cette formulation diplomatique masque mal la réalité économique brutale qui sous-tend cette décision. Les « contraintes opérationnelles » évoquées correspondent à l’impossibilité pure et simple de maintenir un projet déficitaire. Dans l’industrie mobile, la règle est impitoyable : un titre doit rapidement atteindre plusieurs millions d’utilisateurs pour générer les revenus nécessaires à sa pérennité.
Cette fermeture brutale contredit tragiquement les ambitions affichées par Cash Ong et Kris Lee lors du développement. Le « meilleur Brave Frontier » promis, avec ses innovations techniques et sa direction artistique exceptionnelle, n’aura pas résisté aux réalités impitoyables du marché mobile. L’investissement considérable de Gumi Asia, qui avait développé le jeu « de A à Z », s’évapore en quelques lignes officielles.
L’annonce détaille un calendrier de fermeture étalé sur plusieurs mois, témoignant d’une procédure rodée par l’industrie : pour adoucir cette pilule amère, les développeurs activent généreusement un mode « festivités de fin » qui transforme les derniers mois en fête d’adieu. Les donjons voient leur coût énergétique réduit, les taux de drop sont considérablement améliorés, des réductions massives sont appliquées sur tous les achats, et l’ensemble des contenus premium est débloqué gratuitement.
La réaction de la communauté oscille entre colère légitime et résignation amère. Les joueurs qui avaient été séduits par le projet se sentent profondément abandonnés, ayant investi du temps et parfois de l’argent dans une expérience brutalement interrompue. Sur les forums spécialisés, les messages de déception se multiplient, témoignant de l’attachement paradoxal que le jeu avait réussi à créer malgré ses défauts flagrants.
Les derniers mots de l’équipe de développement résonnent avec une amertume palpable : « Du fond de nos cœurs, nous vous remercions d’être restés avec nous. Nous tenons également à remercier Ankama pour nous avoir laissé faire preuve de créativité avec leur univers Wakfu. » Cette reconnaissance mutuelle polie ne masque pas l’échec cuisant du partenariat franco-japonais, et l’amertume probable de Cash Ong et Kris Lee de voir leurs innovations et leur travail acharné réduits à néant.
L’héritage d’un échec
Aujourd’hui, près de dix ans après sa fermeture définitive, Wakfu Raiders ne laisse que des traces numériques éparses. Les données figées du Google Play Store témoignent silencieusement de cette aventure avortée : croissance à 0%.
Ces vestiges numériques racontent une histoire que les communiqués officiels n’osaient avouer à l’époque. Un projet qui ne génère plus aucun téléchargement, plus aucune évaluation, plus aucun signe de vie depuis des années. Pourtant, les milliers d’évaluations conservées documentent l’existence d’une communauté réelle et engagée, qui avait pris le temps de noter et commenter son expérience.
Quant au souhait d’un retour, il existe une nostalgie sporadique chez certains fans. Sur les forums Dofus/Ankama et dans des threads Reddit, des joueurs proposent parfois de ramener Wakfu Raiders comme un mode accessible aux abonnés, en le liant à l’écosystème existant d’Ankama. Ces voix regrettent sa fermeture et espèrent une réédition, surtout avec le succès persistant de l’univers Wakfu via l’anime ou les jeux. Cependant, ce n’est pas un mouvement massif ; la communauté semble plus focalisée sur des titres actuels comme Dofus ou le MMO Wakfu.
Un retour est-il possible ? Peu probable. Tot, a récemment rappelé dans un post sur X que le jeu était développé par Gumi et non par Ankama, et que son exploitation n’était pas de leur ressort. Depuis 2016, aucune annonce officielle de Gumi ou Ankama n’évoque une relance, le partenariat s’étant résumé à ce seul projet.
Un revival nécessiterait une renégociation de licence, des mises à jour techniques pour les mobiles modernes, et un investissement substantiel, sans garantie de succès dans un marché saturé de RPG gacha. Les recherches récentes ne montrent aucune rumeur ou plan en ce sens.
L’après Wakfu Raiders : les leçons partiellement intégrées ?
L’échec cuisant de Wakfu Raiders n’a paradoxalement pas découragé Ankama de poursuivre ses ambitions mobiles, mais a considérablement influencé l’approche stratégique du studio. Les équipes ont manifestement tiré les leçons amères de cette expérience pour développer une nouvelle génération de projets mobiles : Tactile Wars, King Tongue, et surtout Dofus Touch. Ce dernier titre, adaptation directe et fidèle de Dofus sur tablette, rencontre un succès notable en proposant une expérience authentiquement respectueuse de l’original plutôt qu’une transposition simplifiée et dénaturée.
Pourtant, l’histoire récente montre qu’Ankama n’a pas totalement assimilé toutes les leçons de Wakfu Raiders. Waven, le nouveau jeu mobile et cross-platform lancé en 2023, peine à trouver sa formule et fait écho aux difficultés rencontrées par son prédécesseur. Comme l’atteste notre thread sur X d’avril 2025, basé sur un live avec Tot et XyaLe, Ankama admet des problèmes majeurs : manque de profondeur, aspects sociaux inexistants, gacha frustrant, optimisation défaillante, et une narration mal reçue.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Waven ne génère que 1 000 euros par mois, un montant dérisoire qui ne permet même pas de couvrir les frais de serveurs. Cette situation critique a conduit Ankama à annoncer une refonte ambitieuse (reboot vers la version 1.0 prévu en septembre 2025), avec simplifications des mécaniques, nouveaux modes (Rogue Like, Boss Fight), et une communication plus régulière.
Un update d’août 2025 confirme l’avancement, mais souligne que « simplifier un jeu n’est pas simple », et invite aux retours des joueurs. Les avis décrivent un combat engageant mais un jeu perçu comme « vide » ou « gacha sans âme », avec des baisses d’engagement marquées. Ankama persiste avec ce hard reset prévu, effaçant toute la progression des joueurs, mais Waven illustre cruellement que les défis d’Ankama à innover tout en gardant l’essence de ses univers demeurent, comme pour Wakfu Raiders auparavant.
Pour Gumi, l’aventure européenne s’est poursuivie avec d’autres partenariats, mais la firme japonaise a progressivement recentré ses efforts sur ses marchés traditionnels asiatiques où sa compréhension culturelle reste plus solide. L’expérience Wakfu Raiders a probablement pesé significativement dans cette réorientation stratégique, démontrant les limites des collaborations internationales quand les visions créatives et les publics cibles ne s’alignent pas parfaitement et rappelle cruellement que dans l’industrie du jeu vidéo, le génie créatif et la bonne volonté des équipes ne suffisent pas toujours à garantir le succès. Parfois, les meilleures intentions artistiques se heurtent brutalement aux impératifs inflexibles du marché, et les plus belles créations sombrent inexorablement dans l’oubli collectif. Les difficultés actuelles de Waven prouvent que ces leçons restent d’une actualité troublante.
Pour les curieux souhaitant découvrir ce à quoi ressemblait réellement Wakfu Raiders en action, quelques vidéos précieuses subsistent dans les méandres du web. La chaîne Smysse TV, bien qu’inactive aujourd’hui, propose encore 9 épisodes de gameplay, un par zone du jeu, offrant un aperçu de cette expérience désormais inaccessible.
Cet article a été rédigé à partir d’archives et de témoignages collectés sur le web. Si vous avez vécu cette époque et que vous souhaitez partager vos souvenirs, n’hésitez pas à nous en faire part dans les commentaires ou sur nos réseaux sociaux. N’hésitez pas non plus à nous donner votre avis sur ce type d’article rétrospectif.